Jeudi 11 oct. 2018
Conseil départemental, Salle Lavoisier
PAÏENS, CHRÉTIENS ET JUIFS : POLYTHÉISME ET MONOTHÉISME DANS L’ANTIQUITÉ
Rencontres pédagogiques Conférence
Le point des RDV Blois : « Le polythéisme antique est souvent assimilé au pluralisme religieux actuel et comme un modèle de cohabitation, alors que l’émergence de monothéismes exclusifs, juif et chrétien, aurait introduit le prosélytisme et l’intolérance, le martyre et la violence comme acte fondateur. L’histoire des religions antiques conduit à minorer l’opposition structurelle entre deux systèmes, en insistant davantage sur les acteurs du religieux et les circonstances. »
Intervenants :
Marie-Françoise BASLEZ, Professeur émérite d’histoire des religions de l’Antiquité à l’Université Paris IV Paris-Sorbonne
Les Persécutions dans l’Antiquité, victimes, héros, martyrs, Fayard, 2007
Les premiers bâtisseurs de l’Eglise, Fayard, 2016
Isabelle CHALIER, Formatrice à l’académie de Strasbourg
Catherine LALLEMENT, IA-IPR d’histoire-géographie à l’académie de Strasbourg
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Introduction
Le retour du polythéisme est très marqué depuis la fin des années 1990. En témoigne l’intérêt renouvelé pour la mythologie et ses images. La situation géopolitique n’est pas étrangère à ce mouvement de fond ; après les attentats du 11 septembre 2001, le polythéisme a été souvent associé à l’idée de pluralisme religieux, de tolérance en écho positif aux crispations actuelles. Pourtant, ce postulat pose question ; peut-on réellement parler de tolérance religieuse ? Quelles leçons les polythéismes antiques pourraient-ils avoir à nous donner ? C’est ainsi que dans son livre, paru en France en 2016, « Éloge du polythéisme : Ce que peuvent nous apprendre les religions antiques », Maurizio Bettini proposait une grille de lecture positive des systèmes de croyances antiques.
D’entrée de jeu, Marie France Baslez précise une notion importante : le paganisme, emprunt de jugement négatif, doit être réservé à une approche théologique. Il est plus opportun de parler de polythéisme, ce qui n’est pas sans poser quelques questions de fond car de nombreux manuels usent et abusent encore du terme de paganisme, ce qui peut induire en erreur les élèves en imposant une charge morale négative. Bien entendu, le cadre de cette étude sera celui de l’espace méditerranéen et du Proche et Moyen Orient, essentiellement pour la période romaine.
Trois moments dans cette étude :
I – La signification et de l’émergence des Chrétiens et des Juifs pour les polythéismes
II – La question de la gestion du pluralisme religieux
III – Les problématiques actuelles autour du prosélytisme et des violences religieuses
Un point essentiel qu’il faut garder en arrière plan des grilles d’analyse, renvoie à la clé du milieu. Dans le cas qui sera particulièrement analysé dans cette intervention, Doura Europos est une ville frontière, aux multiples origines et influences, creuset naturel du pluralisme.
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I – La signification et de l’émergence des Chrétiens et des Juifs pour les polythéismes
=> Du polythéisme au monothéisme.
*Si l’on prend l’approche chrétienne classique, il existerait une idée de progression, d’étapes vers un modèle abouti. Ainsi, on passerait du polythéisme à l’hénothéisme (fait de mettre en avant une divinité particulière sans nier les autres divinités, selon l’exemple d’Akhénaton) avant d’atteindre l’aboutissement proposé par le monothéisme.
*Madame Baslez insiste sur le fait qu’il faut garder en mémoire que l’État antique est avant toute chose une agglomération d’identités, ce qui implique un pluralisme. Le polythéisme, dans ce sens, est un modèle fonctionnel et évolutif. D’ailleurs, faut-il plutôt parler « des polythéismes », car il n’existe point de système unique. Les mythes des origines ont pour fonction de tisser des liens dans la communauté. L’évolution des polythéismes est ainsi perceptible lorsque au IVè siècle av. quand apparaissent des divinités liées à l’abstraction : la sagesse, la santé etc.
=> Le monothéisme juif
*Il est le plus ancien. L’exemple d’Akhénaton n’est pas celui d’un monothéisme, car les dieux ne sont pas niés, c’est une figure qui est mise au-dessus ; il s’agit donc clairement d’un hénothéisme.
*Il n’y a pas de date assurée quant à sa naissance ; il est acquis au VIè siècle av. est connu des Grecs par les conquêtes d’Alexandre III de Macédoine, Alexandre le Grand. Il s’agit d’une religion ethnique qui ne dispose pas de théologie mais peut être qualifiée d’orthopraxique, c’est-à-dire reposant sur des rites. De manière claire, dans le cadre grec ou romain, cette religion est acceptée comme les autres.
*A ce jour, l’hypothèse demeure que le glissement vers le monothéisme fut progressif ; Yahvé est ainsi plusieurs fois cité comme dieu supérieur, ce qui signifie qu’il y en aurait d’autres. L’une des singularités de cette religion tient au fait qu’elle impose une norme extérieure, une transcendance divine que l’on retrouve dans le Décalogue. S’agissant d’une religion ethnique, elle n’est pas en rupture avec les polythéismes.
*Quid des conflits ?
Une peinture de la synagogue de Doura Europos permet d’entrer dans cette problématique. Cette dernière est visible sur le site consacré dans l’université de Yale et aux musée national de Damas.
Dans cet exemple, le fidèle est bon car il met à sac un temple polythéiste. Dédié à Dagon De la même façon, une certaine vision théologique de la violence existe lorsque des souverains étrangers attaquent Israël, exprimant ainsi la colère divine.
=> Le monothéisme chrétien
*La rupture est radicale car cette religion s’affirme comme universaliste. Le christianisme, dont le terme est inventé au début du IIè siècle, se coupe de la matrice juive : un sauveur unique, un salut unique. C’est alors la fin des rituels sacrificiels car Jésus est le dernier des sacrifices.
Si le terme de « juif » renvoie à une expression communautaire (avec son sabbat, ses fêtes etc), l’expression « chrétien » est plus personnelle. Ceci modifie profondément le statut de l’image. Durant l’antiquité, cette dernière a une fonction de divinité anthropomorphique, de rituel communautaire, ainsi ,par exemple, la frise des Panathénées ou encore l’Autel de la Paix de Auguste.
Génisse emmenée au sacrifice, British Museum, Par Inconnu — Marie-Lan Nguyen, 2007, CC BY 2.5
Ara Pacis Augustae – Roma.
Dans le cas des polythéismes, les images sont faites pour se rassembler autour alors que pour les chrétiens, l’image est le moment d’une relation directe avec le Christ, un moment de prière privilégié. Dans cette logique l’image chrétienne vient directement du divin, elle est un support mystique.
Fresque représentant : la guérison du paralytique Doura-Europos, Syrie, 232 © Yale University Art Gallery (1932.1202/1203)
Il est à noter que ce type d’image mystique existe aussi dans les polythéismes ; ainsi celles d’Epidaure consacrées aux guérisons miracles du dieu Asclépios.
Relief votif attique à Asclépios. Datation : vers 325 av. J.-C. – Musée du Louvre.
Dans les deux cas, l’image porte donc à la prière, ce qui constitue un lien à ne pas négliger.
II – La question de la gestion du pluralisme religieux
=> La théorie d’une gestion du pluralisme des religions grecque et romaine par un simple ajout de nouvelles divinités perçues comme positives a été invalidée par la recherche. En effet, il existe des polythéismes et des panthéons. Ainsi, il n’y pas d’automaticité de l’accueil de nouveaux dieux.
Les États antiques ont bien été accueillants mais sous conditions :
*la religion c’est un peuple, une communauté, donc la liberté cultuelle pour chacun.
*il existe aussi une approche rationnelle qui rappelle l’approche de Hérodote, les dieux étant les mêmes mais étant connus sous des noms différents.
Les interprétations grecques et romaines proposent ainsi des traductions, une façon de nommer les dieux des autres avec des noms de divinités locales. Or, comme le souligne Madame Baslez, la traduction s’apparente souvent à une trahison. Ainsi en est-il de Cybèle qui devient une Vénus. Dans ce souci d’interprétation, certaines scènes conventionnelles sont reprises et liées aux milieux. Ceci se retrouve dans la tradition du porteur de veau, le criophore, image classique en Grèce, que l’on retrouve adaptée à Adam portant une brebis à Doura Europos (Photo credit: Yale University Art Gallery).
Ce pluralisme se retrouve aussi dans les inscriptions, telle celle du relief de Némésis.
Photo credit: Yale University Art Gallery
Dans ce cas précis, l’inscription est bilingue, grecque et sémitique. Il est donc possible de parler d’intégration sous condition d’entrer dans des codes locaux ; ceci pose donc la question de possibles persécutions.
III – Les problématiques actuelles autour du prosélytisme et des violences religieuses
=> Madame Baslez commence par rappeler que les sources gomment les répressions, dès lors que l’Etat communique. On retrouve dans ce cas des expressions comme « nous les avons empêché de pratiquer tel culte ».
De manière très claire, le droit de censure est réel. Se pose aussi la question de l’hénothéisme. Isis devenant Notre Dame, Dyonisos devenant une divinité de la résurrection. C’est de cette façon qu’il faut comprendre la geste de Constantin qui n’est pas une conversion, mais une volonté de fédérer autour d’un culte. Ce fut dans un premier temps le soleil, « Sol Invictus ». Contrairement à ce qui a été affirmé après la bataille du Pont Milvius de 312 qui marque un tournant décisif pour le christianisme (la victoire de Constantin sur Maxence serait due à sa conversion), les sources invalident totalement cette vision. Ainsi, jusque 378 au moins, les pièces sont frappées avec le symbole du « Sol Invictus »; il y a donc cohabitation entre polythéistes et chrétiens.
Madame Baslez revient lors de la présentation de la proposition didactique à suivre sur la question du prosélytisme.
Conclusion :
Il convient de parler non pas de révolution brutale mais d’évolution progressive lorsque l’on aborde la question du passage des polythéismes au monothéisme. Les images sont nombreuses à inclure les deux visions, telles celles du Christ sur un char du Soleil. Il convient également de se méfier du terme de prosélyte que l’on retrouve souvent dans les sources. Le prosélyte est celui qui vient s’ajouter à la communauté; il ne s’agit pas d’imposer une conversion comme le montre la recherche récente. La ville antique est un espace de respect, sauf lors des moments de crise. Les persécutions ont existé mais sont à replacer dans un contexte particulier. D’une certaine façon, la ville antique est un lieu « laïc», le sociétal l’emportant sur le religieux. Les martyrs expriment dans ce sens une volonté de se couper de la société. Les conflits sont liés aux acteurs, non à la religion et aux croyances.
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Transposition didactique
Catherine Lallement : « Une transposition didactique en histoire et en EMC est possible.
La mise en perspective avec notre monde actuel, énoncée par Mme Baslez, est un souci qu’on retrouve dans la production de nos programmes, au cycle trois, comme au cycle 4. Deux moments sont importants quant à l’étude du fait religieux et sa compréhension. C’est un objectif qui apparaît comme une priorité, à mettre en lien, plus largement, avec la pédagogie de la laïcité, axe fort de l’éducation à la citoyenneté de l’EMC et du parcours citoyen.
Cette notion doit être nécessairement abordée de façon spiralaire. On l’aborde dans l’année de sixième,puis elle est complétée et approfondie tout au long du cycle 4.
D’autres objectifs sont de distinguer l’histoire et la fiction, de confronter fait historique et croyances, historicité des faits religieux en les replaçant dans leur contexte géopolitique.
Etudier les grandes étapes du fait religieux et son évolution dans le temps permet de comprendre les débats actuels du fait religieux, ses enjeux, incompréhensibles sans la connaissance de la profondeur historique. On cherche aujourd’hui des réponses à notre monde actuel dans l’histoire de l’Antiquité.
Pour la transposition didactique, nous avons arrêté nos choix en histoire essentiellement.
Le programme le plus propice est celui de sixième. On peut utiliser cette entrée par les images, très importante dans le thème de l’année de sixième, aussi bien dans « le monde des cités grecques » que dans « Rome, du mythe à l’histoire » ou « la naissance du monothéisme juif dans le monde polythéiste », dans une étude croisée des faits religieux au travers de la distinction histoire et croyances, au travers de la place des récits mythiques et bibliques en regard des découvertes archéologiques, au travers de la rencontre de civilisations anciennes et de leur univers culturel commun.
Il est possible de relier également ce sujet au thème 3, « conquêtes, paix romaine et romanisation » et « Des chrétiens dans l’Empire », qui propose l’étude d’un vaste empire marqué par la diversité des sociétés et des cultures, fait apparaître que le Christianisme, issu du Judaïsme, se développe dans un monde grec et romain, et enfin montre la mise en place d’un christianisme impérial.
Isabelle Chalier va vous présenter la transposition didactique. Elle est professeur d’histoire au lycée Koeberlé de Sélestat, professeur d’histoire de l’art au lycée Kléber de Strasbourg, formatrice académique et chargée de mission. »
Isabelle Chalier : « J’ai repris ici les termes du sujet « païens, juifs et chrétiens dans les polythéismes et les monothéismes ». Quand on songe « polythéismes et monothéismes », on pense à Doura Europos, site très connu notamment pour sa synagogue peinte, exceptionnelle. On y trouve aussi un des plus anciens lieux de culte chrétiens connus au monde. »
Madame Baslez complète en informant de la découverte d’un camp légionnaire avec une salle de prières chrétienne à Megiddo dans l’État d’Israël, plus ancien encore.
Isabelle Chalier : « Pour ce qui concerne l’usage des termes, j’exclurai comme Madame Baslez « païen et paganisme », même si on les trouve dans de nombreux manuels de sixième, y est associée une connotation péjorative. Ils sont essentiellement employés par les Chrétiens et tardivement.
Je vais donc reformuler le sujet : « Polythéismes et monothéismes à travers la question des images qui interrogent les religions »
L’entrée par les images est en relation avec la compétence en sixième (Cycle 3) : « comprendre un document ». La séquence proposée permet de travailler également d’autres compétences « se repérer dans l’espace », « se repérer dans le temps », « contextualiser des événements » mais aussi, « raisonner, justifier une démarche, des choix effectués ».
Le thème 2, à propos de la naissance du monothéisme juif dans un monde polythéiste, ou bien le thème 3, sont souvent illustrés dans les manuels par l’exemple de Doura Europos. Dans Le livre scolaire et sa version en ligne, on trouve une double page sur la synagogue de Doura Europos en lien avec les compétences d’histoire des arts.
Dans le thème 3, cet exemple peut être introduit à la charnière de la première question « conquête et romanisation », en permettant de traiter un peu autrement les aspects de la romanisation ; et à la charnière de la question du « christianisme et sa diffusion dans le monde polythéiste de l’empire romain ». Les fiches d’accompagnement Eduscol montrent qu’il est important pour les concepteurs, du programme de bien lier à la fois, l’émergence des monothéismes, l’aspect multiculturel et l’extension de l’empire romain.
C’est ce que je vais présenter ici en m’appuyant sur des sources archéologiques qui proviennent essentiellement des différentes missions qui ont été réalisées à Doura Europos.
Il s’agit enfin de contribuer aux deux parcours : citoyen et d’éducation artistique et culturelle qui met l’histoire des arts au cœur du programme.
Doura Europos est localisée dans la vallée de l’Euphrate à l’est de la Syrie. Une vue aérienne du site montre une morphologie assez particulière. Implanté dans la vallée de l’Euphrate, il la surplombe depuis une falaise de 40 m de hauteur et fait la jonction entre cette vallée fertile et à l’ouest les steppes désertiques syriennes qui mènent jusqu’à Palmyre. La photo est assez frappante et peut se prêter à une étude de paysage en sixième d’ailleurs. C’est donc un site très particulier, facile à défendre. Le fondateur de la ville, un des généraux de Séleucos, en 303 av. J.-C., choisit cette situation et complète le système défensif avec l’édification d’une muraille du côté ouest, en sus au nord et au sud de l’existence de ravins creusés par des wadis alors asséchés.
La problématique didactique est posée autour de la notion de ville lisière, que l’on trouve aussi en géographie : dans quelle mesure Doura Europos, en tant que ville lisière, est-elle un bon reflet des phénomènes d’interactions culturelles mais aussi de coexistence religieuse?
Si les programmes invitent à parler de persécutions et un peu moins de coexistence, ici l’intérêt est de contrebalancer ce biais.
Pour les élèves : dans quelle mesure Doura Europos, en tant que ville lisière, est-elle un bon reflet des échanges culturels et de la coexistence religieuse?
La séance de 1 heure est construite en trois temps.
- Premier temps : contextualisation pour montrer qu’il s’agit d’une ville romaine dans un Orient particulier celui de l’Orient hellénisé tel que l’a montré Daniel Schlumberger.
- Deuxième temps : montrer que cette ville abrite à la fois des communautés et des polythéismes.
- Enfin, pour terminer cette séance : montrer la coexistence entre polythéistes et monothéistes, ce qui le cœur de notre sujet.
1) Une ville romaine de l’Orient hellénisé
Fondée en autour de 303 av. J.-C., elle s’appelle d’abord Europos. Elle fait partie de l’empire séleucide jusqu’à la conquête parthe qui intervient en 113 av. J.-C. Pendant la longue occupation parthe, la ville prospère. C’est une période faste avec une population qui s’agrandit et la construction de nombreux édifices. C’est une période d’enrichissement jusqu’à la conquête romaine qui intervient avec Lucius Verus en 165 après J.-C. Malgré une parenthèse sous Trajan, cette présence romaine dure un peu moins d’un siècle jusqu’au siège sassanide de 256. Le siège met un terme à l’existence de la ville, la population étant déportée. Les couches archéologiques se retrouvent alors oblitérées.
Cette chronologie avec les élèves peut être simplifiée et réduite à la présence des trois grands empires : séleucide, parthe puis romain. Une fois le repérage chronologique établi, il faut aussi qu’il se fasse géographiquement.
C’est une autre compétence que l’on travaille en sixième. On peut le faire à partir de cartes de l’empire séleucide du premier siècle avant J.-C. Doura Europos n’est pas encore une ville frontière ou lisière. Elle fait partie de l’empire et se trouve sur une route majeure qui va d’une des capitales séleucides à Palmyre, si on passe par l’Euphrate. C’est le moment où la cité se développe. Il s’agit au début d’une simple place forte militaire ayant pour fonction de contrôler. La ville n’est occupée que partiellement, dans sa partie à l’est de la citadelle.
Elle change de statut à l’époque parthe et romaine, puisqu’elle se situe cette fois à la frontière entre deux empires en conflit : l’empire parthe puis l’empire romain. Donc, elle acquiert une position stratégique très importante et est au cœur des tensions militaires.
Avec des élèves, on montre que cette ville a bien une situation géographique particulière et une histoire. Dans un changement d’échelle, cette histoire et cette situation se retrouvent dans le plan de la ville. Le document d’appui est un plan archéologique établi par la mission Franco-syrienne d’Europos Doura dans les années 2000, la mission s’arrêtant en 2011 avec la guerre.
Ce plan servira de fil conducteur à la séance, il faudrait cependant le simplifier pour les élèves.
Il en existe un plus simple dans le Livre scolaire, paru en 2016, mais il soulève un certain nombre de problèmes. En effet, la légende présente en jaune les lieux de cultes monothéistes, ce qui tend à faire penser que la ville du troisième siècle, telle qu’elle a été abandonnée par sa population, est une ville essentiellement monothéiste. La deuxième erreur de légende porte sur les plages de couleur bleu et vert figurant indifféremment les bâtiments dédiés à des dieux grecs (Artémis) et des édifices civils (palais du dux).
Donc, j’ai utilisé mon propre plan à partir de celui des archéologues. En reprenant la trame hippodamienne classique, il est possible de le compléter avec les élèves au fur et à mesure. Par exemple, la présence d’édifices montre la présence (lien avec le thème 2) de l’armée romaine, la 20e cohorte palmyrénienne. On retrouve les limites du camp romain, implanté à l’intérieur de la ville, de manière assez exceptionnelle, que l’on peut matérialiser par des pointillés. Le palais du dux, le mithraeum, l’amphithéâtre, montrent ce phénomène de romanisation mais que l’on peut toutefois nuancer à l’aide d’un document très simple. Une tuile ou un carreau provenant d’une maison de Doura Europos représentant un personnage barbu, avec des instruments écriture, porte un texte en grec. Ainsi, un fonctionnaire lié à l’armée romaine a un nom grec. L’armée utilise alors le latin pour des documents officiels, mais aussi le grec. Il existe une persistance très forte de la culture grecque. Ces documents sont issus de l’université de Yale qu’on peut retrouver en haute définition et libres de droit sur son site.
2) Des communautés, des polythéismes
Il s’agit de démontrer, toujours à travers le plan que cette culture grecque est très présente. Elle apparaît à travers l’agora qui a été prévue dès la fondation de la ville hellénistique mais qui n’a pas été fermée, le palais du stratège, le temple d’Artémis et le temple de Zeus.
Après ce moment de contextualisation, il faut dresser le lien entre communautés et polythéismes.
Sur le plan, on fait repérer la quantité de temples et édifices religieux dans la ville. D’après Pierre Leriche qui dirigeait la mission française, environ 19 édifices religieux sont attestés alors que la population est estimée par Ernest Will, à partir des îlots, à près de 5 à 6000 habitants. Ces édifices religieux ont été créés de manière continue depuis la fondation de la ville. Signe d’une religiosité particulièrement forte des habitants de la cité ? Plutôt arrivée de différentes communautés de migrants qui viennent peupler la ville amenant leurs propres divinités et qui souhaitent établir leurs propres lieux de culte.
Avec les élèves, on peut étudier deux sculptures mises au jour dans le temple d’Artémis. La première est celle d’une Aphrodite à la tortue découverte dans les années 1930, statuette typiquement grecque. Les élèves ont certainement vu dans le thème 2, la frise dés Panathénées, donc ils peuvent retrouver le vocabulaire plastique de l’art grec classique plutôt ici hellénistique. Cette sculpture en marbre de Paros est probablement importée d’une grande de cité, peut-être d’Antioche par l’intermédiaire de marchands. On peut la comparer avec une autre statue, un buste d’Artémis afin de faire percevoir les différences d’influence qui s’exercent à Doura Europos. Les deux objets se trouvent au Louvre, celui-ci ayant participé à la mission dans ses premières années. Ce second buste diffère. Il s’agit bien d’une déesse grecque mais représentée avec une frontalité souvent associée à l’art parthe.
On peut aussi envisager le polythéisme avec l’étude des reliefs, notamment le relief de Némésis intéressant pour son iconographie et mentionné par Madame Baslez. La déesse Némésis dont les attributs sont le griffon et la roue, a en face d’elle un dédicant entrain de lui offrir de l’encens. A l’arrière du buste se trouve un dieu radié, peut être Sol ou une divinité palmyrénienne. L’inscription de ce relief dans la tradition grecque avec le vêtement de la déesse, porte un texte grec et un texte en palmyrénien présentant le dédicant, le commanditaire du relief. Il se présente en grec, utilisant son nom latin mais il se déclare émigrant palmyrénien originaire de Tadmor (nom originel de Palmyre) dans l’inscription palmyrénienne.
On complète ainsi, avec les élèves, au fur et à mesure, la légende du plan en montrant que les populations qui sont à Doura Europos sont aussi des populations orientales avec des dieux orientaux tels que Bêl.
3) Des polythéismes et des monothéismes
Il s’agit de revenir au cœur du sujet avec la question des polythéismes et des monothéismes.
Sur le site de l’université de Yale, une visite virtuelle est possible, la fois du mithraeum, de la maison chrétienne mais aussi de la synagogue. C’est un outil qui peut être travaillé en classe, mais plus classiquement on peut faire aussi un travail iconographique à partir des plans de la synagogue, relativement petits. Elle occupe l’emplacement d’une maison mais il a été nécessaire de l’agrandir. Sur deux plans successifs, on voit qu’en l’espace de 80 ans, la communauté s’est agrandie soit par un apport de populations soit par des conversions. Les peintures dans la salle de prière recouvrent entièrement les quatre murs. Elles sont exceptionnellement bien conservées. Quand les Sassanides attaquent, les Romains élaborent un glacis de part et d’autre du rempart qui empiète sur toutes les maisons situées le long de celui-ci. La synagogue se retrouve donc enfouie comme la maison chrétienne. Les peintures sont découvertes fortuitement en 1920 dans un remarquable état de conservation.
Il y a beaucoup d’interprétations sur le sens de lecture et la représentation iconographique de ses peintures. Ce qu’il faut montrer aux élèves, c’est l’importance de l’espace de la niche qui contient les rouleaux de la Torah, ainsi, la lecture, le principe des textes, de l’assemblée est à mettre en regard des rites d’offrandes comme représentés sur le relief de Némésis.
On peut étudier une ou deux de ses peintures. En général, dans les livres scolaires on a souvent celle de « Moïse sauvé des eaux », intéressante pour les influences grecques avec les trois servantes de la fille de Pharaon qui s’apparentent à des nymphes, et la fille de Pharaon qui fait penser à une Aphrodite sortant des eaux. Les liens sont très clairs avec une iconographie de tradition gréco-romaine. Pour illustrer le rapport qu’entretiennent les communautés, on peut prendre l’exemple de la peinture du Temple de Dagon qui montre bien ce rapport complexe aux images qu’entretenait alors le judaïsme.
Ces peintures ne sont pas des fresques, mais des peintures murales qui sont réalisées sans le plâtre frais, donc le mot fresque est inapproprié. Toutes les peintures de Doura Europos, dans les temples grecs qui relèvent du polythéisme, suivent la même technique, a contrario de ce que l’on connaît dans l’empire romain dans lequel on pratique plutôt la fresque.
Par ailleurs, dans cette même synagogue, le plafond est aussi peint, il présente des carreaux qui empruntent leur vocabulaire iconographique au monde polythéiste. Un capricorne et plusieurs signes du zodiaque sont représentés, également des visages qui rappellent tout à fait les divinités grecques. On trouve aussi des références aux vignes, au raisin, aux récoltes. Le plafond semble très éloigné du judaïsme. Une dédicace de la synagogue, une inscription dans laquelle apparaissent les commanditaires des peintures, mentionne un prosélyte.
Dernier élément du monothéisme à Doura Europos : la maison chrétienne. Elle est beaucoup plus petite que la synagogue, donc on a affaire à une communauté plus réduite, même si elle est difficile à évaluer. Elle se situe dans la même rue, mais l’entrée est plus discrète. »
Madame Baslez précise que la question est ici celle du développement. « Dans la maison chrétienne, on trouve des peintures qui sont des types d’esquisses. C’est d’abord une maison privée de chrétiens dont on a agrandi les pièces pour des besoins fonctionnels. On a abattu un mur pour faire une salle eucharistique et dans les entrepôts, on a organisé un baptistère. La maison a gardé l’entrée qu’elle avait toujours eue.
Il faut faire attention aussi au prosélytisme qui est un élément très discuté actuellement entre polythéismes et monothéismes. L’opinion convenue dit que toute religion monothéiste est prosélyte, fait du prosélytisme, y compris le Judaïsme alors que la communauté juive refuse absolument ce point de vue. Le terme « prosélyte » est un terme qui vient du Judaïsme hellénisé et est très ambigu. Il désigne « celui qui vient s’ajouter à la communauté », aussi bien un juif d’une autre communauté de la diaspora venant participer à celle de Doura Europos que quelqu’un d’extérieur. C’est seulement dans le Talmud, à partir du sixième siècle, que le mot « prosélyte » devient équivalent de « converti », celui qui se converti au Judaïsme jusqu’à être circoncis. Donc la question du prosélytisme reste très ouverte. Mais l’essentiel de l’argumentation ici est comment comprendre l’augmentation de la population juive en diaspora sous l’empire romain ? L’accroissement naturel n’est pas suffisant, c’est ce qui fait en déduire des processus de conversion. Il faut, par ailleurs, faire attention avec le traitement de ces termes parce qu’il y a souvent beaucoup d’implications contemporaines. »
Isabelle Chalier : « Dans la maison chrétienne, il faut souligner avec les élèves la place du baptistère, et mentionner le rôle du rituel du baptême dans la religion chrétienne.
Pour terminer, les peintures murales évoquées du Bon Pasteur et celle d’Adam et Eve, probablement un peu postérieure. Le Bon Pasteur est difficile à étudier en raison de son état, mais on trouve des esquisses peut-être un peu plus lisibles de la figure du berger, dans les catacombes et dans les documents énoncés précédemment par Madame Baslez.
Pour ce qui est de la trace écrite avec les élèves, on peut repartir du plan et leur faire résumer les choses très simplement, en leur montrant que dans cette ville de Doura Europos, au troisième siècle coexistent des polythéismes. En remettant les choses en ordre chronologique avec les temples d’Artémis et de Zeus probablement de fondation hellénistique, le temple de Bel et d’Artargatis, probablement d’époque parthe, le mithreum d’époque romaine en lien directement avec l’armée romaine. En miroir des monothéismes, en expansion au troisième siècle, en plaçant la synagogue et la maison chrétienne sur le plan. »
Par Carole ESQUERRE SAIDANE et Ludovic CHEVASSUS pour les Clionautes.